Bonjour. Je ne m'appelle pas, je suis peut-être diplômé en lettres modernes et concierge au XVIIIe arrondissement à Paris. Il se peut que mon travail me laisse pas mal de temps libre pour lire ou rencontrer d'autres personnes aussi je me suis fait des amis rats(?enfin je crois, ou peut-être l'ai-je rêvé), certains qui ont probablement connu une histoire assez intéressante que je me permets de vous conter:
Je ne sais pas si vous aviez entendu parler de cette histoire, il y a une vingtaine d'années - un tueur en série sévissait dans Paris, s'attaquant aux vieilles dames; par hasard un des meurtres a eu lieu dans l'immeuble où je travaillais - quand j'y repense, plusieurs personnes ont déménagé après cette histoire, elle était très gentille et les locataires ont été dégouté de la méchanceté de l'acte.
Quand j'ai assisté au premier déménagement(c'était un jeune célibataire tout frais sorti de l'école), j'avais aidé le jeunot à descendre ses dernières affaires - il avait été très silencieux mais je me souviens, sur les dernières marches du palier, il m'a lancé: << Je déteste Paris.>>. Je l'ai longuement regardé, surpris, et il a détourné le regard. Pendant un moment, je me suis demandé s'il ne nous en voulait pas de rester ici, comme s'il ne se sentait jamais en sécurité.
..Enfin on peut s'habituer à la violence, même à quelques pas de chez nous; au bout d'une simple semaine déjà les locataires n'en parlaient plus, leur vie était assez dure sans avoir à se préoccuper de celle de leur voisin.
En fouinant dans l'appartement nouvellement inoccupé, j'ai trouvé ce couple de rats, comme moi à la recherche de quelquechose digne d'intérêt ;). Passé la première aversion (les rats ont été longtemps synonymes de vecteurs de maladies), j'ai commencé à les observer s'affairer dans la pièce, amassant des morceaux de papiers peints décollés pour leur nid, ouvrant des armoires avec leur gros derrière; de temps en temps je leur amenais des vieux morceaux de pain, ou de croissant en même temps que je m'installais dans l'appartement pour lire, assis contre un mur.
De temps en temps, je surprenais un des deux rats en train de me renifler ou de tirer sur mon pantalon. Avec les doigts, je simulais une araignée qui leur courait après: parfois il mordillait un doigt, et ma main se jetait sur lui pour le mettre sur le dos (je les avais vu se chamailler et ça se terminait toujours comme ça:)) le rat couinait, et la main s'arrêtait aussitôt, se relevant et rejoignant son propriétaire en roulant des épaules.
Au fur et à mesure, ils colonisaient petit à petit mon pantalon, s'installant dessus, entre, dans un repli, toujours étonnament propres.
Je venais souvent lire ici, pendant tout un hiver, profiter de leur compagnie - au début du printemps l'appartement fut loué; je mis une bonne journée à les attraper tous les deux (le premier s'est laissé prendre, le deuxième a fuit) et je les installais dans mon appartement. Ils furetèrent un peu partout et s'installèrent sous un chauffage dans le salon.
Un soir, en revenant du Salon du livre, je les trouvai écrasés sur le bord de la route.
Je ne sais pas s'ils voulaient me suivre, s'ils cherchaient quelquechose et ça n'a pas trop d'importance.
On passe tous par là.
- Spoiler:
Cette histoire s'appuie très librement sur des faits réels. Aucun rat n'a été blessé pendant le récit de cette histoire.